Maison d’Arrêt du Val d’Oise : une poudrière !
Du fait de la surpopulation (160% de la capacité d’accueil) et du manque de personnel, les maisons d’arrêt constituent un véritable lieu de contamination pour les personnes incarcérées.
Le personnel pénitentiaire travaille en permanence sous pression et en insécurité. L’absentéisme pour raisons sérieuses de santé augmente (12% de l’effectif). Les agressions sont courantes, etc.
Les détenus ne peuvent plus être suivi correctement par le personnel du Service de Probation et d’Insertion Professionnelle (SPIP). Un conseiller devrait suivre 30 détenus, en réalité, il en « suit » une centaine. Les détenus ayant des courtes peines (inférieures à 6 mois), souvent instables et fragiles psychologiquement, quittent la maison d’arrêt en ayant pratiquement eu aucun contact avec le SPIP. Ces détenus ont de grandes chances d’être dans un état d’esprit pire que celui qu’ils avaient en rentrant. L’accès à la santé et à la formation des détenus est fortement dégradé.
Il ne suffit pas que le gouvernement augmente le nombre de places. Si il n’y a pas , en terme de personnel, des moyens suffisant de prévention et d’accompagnement pendant la détention, l’incarcération restera globalement un échec sociétal.
Pour ceux qui veulent approfondir le sujet, ci-dessous (en italique), est reproduite, l’introduction du Rapport d’Activité 2015 de la Maison d’Arrêt du Val d’Oise (MAVO) basée à Osny. Ce rapport illustre très bien la situation dramatique dans laquelle se trouve notre système carcéral.
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Au 1er juin 2015, l’établissement comptait 1141 écrous dont 895 hébergés. Ce taux de surpopulation est chronique puisque l’année 2015 l’a vu osciller de 140 % à 160 %. En avril/mai 2015, l’effectif a connu un pic historique de 938 détenus, soit un taux de 160%.
L’établissement, habitué à cette situation dégradée permanente, alors qu’il a été conçu, programmé, outillé à l’ origine pour 580 places, gère à peu près correctement la surpopulation jusqu’à 820-830 détenus. Au-delà de 850, qui semble être le seuil critique supportable pour la structure, la situation devient particulièrement sensible, tant pour les personnels, que pour la population pénale.Retentissement de la surpopulation carcérale sur les personnels
L’organigramme de l’établissement de 170 surveillants, est actuellement amputé de 12% de son effectif théorique, soit 20 surveillants absents pour diverses raisons. Les conséquences de cette suractivité pour les autres sont les suivantes:
– fatigue physique, nerveuse, stress;
– absentéisme chronique lié à l’épuisement qui se manifeste par les congés maladies ordinaires (CMO) de courte et moyenne durée qui désorganisent profondément les rythmes de travail et font peser l’angoisse de l’aléas de l’absence sur les agents présents qui vont devoir absorber le surcroît de travail;
– usure et épuisement des équipes d’encadrement dans les négociations avec la population pénale pour gérer les confits liés à la promiscuité;
– la production des heures supplémentaires alors que nous avons des consignes pour les contenir. Des agents arri vent au maximum légal des 108h supplémentaires légales par trimestre.
Les surveillants, confrontés à une course contre la montre permanente quotidienne, ouvertures, fermeture des portes, douches, courriers, promenades, avocats, cantines, parloirs, sollicitations en tout genre, etc. ne sont plus à même de prendre en charge les détenus dans des bâtiments de 300 prévus pour 200 places.
Les risques psychosociaux, qui font par ailleurs l’objet d’une forte sensibilisation par l’institution, prospèrent dans un contexte aussi délétère.
La Directrice des Ressources Humaines, la chef de Détention et moi-même recevons de nombreux agents en entretien, qui verbalisent, dans le huis-clos de ces audiences leur mal-être, la « boule » au ventre qui les habite lorsqu’ils prennent leur service, les efforts pour tenir « face aux collègues ».Des efforts ont été réalisés pour créer de meilleures conditions de travail. Une salle de repos a été créée sur les crédits « amélioration des conditions de travail »,ainsi qu’une salle de sport à disposition des personnels. Les heures supplémentaires ont été « contenues » : 393 en 2013, 39072 en 2014, 41 378 en 20 15, dans ce contexte de surpopulation majeure.
En 2015, 34 % des personnels, quasi-exclusivement des surveillants, ont été renouvelés, du fait des mutations ct de l’accueil de surveillants stagiaires. En trois ans, c’est l’effectif complet de l’établissement qui se renouvelle, fragilisant en permanence les pratiques professionnelles.Les conséquences de la surpopulation carcérale sur les personnes détenues
La première conséquence de la surpopulation est la promiscuité et ses effets en cascade que nous imposons aux personnes détenues. Cette promiscuité génère des tensions permanentes dans les bâtiments d’hébergement (300 détenus pour des bâtiments de 200 places) et dans les cellules dont la majorité est doublée, et pour quelques unes triplées (15 cellules triplées équipées de trois lits au 10/02/2016).
La Maison d’arrêt s’est adaptée à cette situation afin d’éviter les matelas au soi. Toutes les cellules, sauf à l’Unité dédiée, sont équipées de 2 ou 3 lits pour les 24 les plus grandes (12m2). Nous avons 1050 lits répartis dans les 579 cellules. Nous avons dû faire dormir très ponctuellement au cours de l’année 2015 des détenus sur un matelas au quartier arrivants. Les affectations en cellule deviennent périlleuses1 avec de nombreux refus de réintégration de détenus mécontents de leur affectation ou de leur codétenu et les situations qui dégénèrent sur la coursive se multiplient: éclats de voix, insultes à agents, demandes de renfort, maîtrise nécessaire de la personne détenue récalcitrante; conduite au quartier disciplinaire pour figer la situation; tapage aux portes des autres détenus forcément toujours solidaires. Le risque d’agression physique pour les agents, ainsi que le risque de violence entre personnes détenues augmente donc mécaniquement. Cette situation accentue la hiérarchie du plus fort en détention car les gros profils, les gens violents, les détenus qui menacent d’exercer des représailles sur le codétenu qu’on leur adjoindra, obtiennent de rester
seul, les chefs de bâtiment cèdent au principe de précaution et à la nécessité de protéger l’intégrité physique et morale des personnes détenues.
Les profils psychiatriques sont noyés dans la masse, avec les risques que l’on connaît pour eux-mêmes pour leurs codétenus ou pour les personnels.
La seconde conséquence de la surpopulation est l’exclusion d’une majorité de détenus des dispositifs de prise en charge, en particulier le travail (150 postes salariés pour 870 personnes détenues). La surpopulation réduit mécaniquement la proportion de détenus occupés (travail: sport, enseignement, culture, etc.).
Le service médical est engorgé. L’Unité sanitaire ne peut accueillir dans des délais raisonnables toutes les demandes de consultations (120 par jour en moyenne. ce qui est considérable mais insuffisant). Le délai d’attente pour une consultation avec un psychologue est de 4-5 mois.
Les parloirs équipés de 24 cabines, ne peuvent offrir des conditions d’accueil satisfaisant, en particulier en termes de délai du premier parloir pour un arrivant. L’arrivant avec un extrait de jugement de 4 mois n’aura pas un rendez-vous parloir avant un mois, et ne pourra pas travailler. le délai d’attente étant plus long que sa peine.
Ainsi les missions de l’Administration Pénitentiaire découlant de la loi pénitentiaire du
24 novembre 2009, de droit aux soins, au maintien des liens familiaux sont mises à mal par la surpopulation carcérale. Les règles pénitentiaires européennes deviennent difficilement applicables car la démarche de qualité el d’individualisation des prises en charge se dilue dans une gestion de masse et de flux.
Jusqu’à ce jour, l’établissement a encaissé le choc grâce au soutien inconditionnel des Autorités préfectorales, judiciaires, de la Police nationale et de la Gendarmerie nationale du département du Val d’Oise, grâce à l’appui total des Services de la Direction interrégionale des serviccs pénitentiaires de Paris. et grâce à l’abnégation des personnels pénitentiaires de l’établissement et de ses intervenants: l’Éducation Nationale, le Centre hospitalier René Dubos de Pontoise, et tous les partenaires institutionnels.
La politique de prévention des vulnérabilités et du suicide est un axe fort de gestion.
Aucun suicide n’a eu lieu en 2015. Nous dénombrons 17 tentatives de suicide en 2015, essentiellement par tentative de pendaison ou par absorption médicamenteuse. Aucune n’a eu de conséquence médicale grave, toutes ont été déjouées rapidement ct prises en charge par l’Unité médicale.
Nous avons enregistré par ailleurs 6 actes d’automutilation dont un grave le 2 avril2015, puisqu’une personne arrivante s’était arraché les yeux.
Une agression grave entre personnes détenues a eu lieu le 1er avril 2015, signalée au Parquet, mais aux conséquences médicales moins graves que redoutées initialement (la victime avait été extraite sur l’hôpital dans la matinée ct avait réintégré le jour même vers 14h30 après avoir reçu les soins adaptés). Le dispositif de prévention du risque suicidaire a été totalement redéfini et mis à jour dans la note de service du 16 février 2016.
On dénombre 18 agressions de personnels en 2015, contre 24 en 2014. 36 agents ont été victimes d’accidents de travail contre 48 en 2014. 6 mouvements collectifs se sont déroulés en 20 15, (2 en août, 3 en novembre et 1 en décembre.) dont ceux d’août qui ont nécessité une intervention des ERIS (le 16/08/2015, 220 détenus refusaient de réintégrer leur cellule).Les 4 autres ont été gérés par les personnels de l’établissement. La maitrise de ces mouvements collectifs n’a entrainé ni blessure corporelle, ni dégât matériel.
Les causes probables de ces mouvements de la population pénale semblent être les succès que nous enregistrons dans la lutte contre les trafics et l’économie souterraine. 1068 téléphones portables ont été saisis en 2015. 408 sous forme de projections ; 660 lors de fouilles ( 1012 saisi en 2014) et ,plus de 8kg de produits stupéfiants (4 kg en 2014). Une opération concertée entre le Parquet de Pontoise, la Direction départementale de la sécurité publique du Val d’Oise et l’ établissement en août et septembre 2015, a permis l’ interpellation de 23 projeteurs en flagrant dé lit, et la condamnation de deux organisateurs de ces trafics à de lourdes peines en décembre 2015.
La remontée au Parquet de tous les incidents est systématique, conformément à l’article 40 du CPP.Les aménagements de peine
L’établissement compte 2/3 de condamnés et 1/3 de prévenus. Quelques chiffres démontrant le dynamisme de l’application des peines. et l’implication de la Juridiction: en 2015 ont eu lieu 29 débats contradictoires (27 en 2014) et 37 commissions d’application des peines (25 en 201 4) afin de faire face à la loi sur la Libération sous contrainte, soit 52 semaines avec une instance par semaine, et 14 semaines avec deux instances hebdomadaires.
Ainsi, chaque semaine, la Juridiction de Pontoise est physiquement présente au sein de l’établissement.
La Maison d’arrêt du Val d’Oise compte en moyenne 250 personnes écrouées non hébergées, effectuant leur peine à l’extérieur. Ce taux de près de 22% du total des écrous non hébergés est traditionnellement un des plus élevés parmi les grandes maisons d’arrêt d’ Ile de France, traduisant le dynamisme de la politique menée localement en matière d’aménagement des peines. Sans ce dynamisme de la Juridiction et du SPIP, la surpopulation serait bien plus importante au sein de l’établissement.
Le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP)
Les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), services déconcentrés de l’administration pénitentiaire au niveau départemental, assurent le contrôle et le suivi des personnes placées sous main de justice, qu’elles soient en milieu ouvert ou en milieu fermé.
Afin de prévenir la récidive et de favoriser la réinsertion des personnes condamnées, ils concourent à l’individualisation des peines privatives de liberté et à la préparation des décisions de justice à caractère pénal.
En milieu fermé
La mission des SPIP est d’accompagner les personnes détenues dans le cadre d’un parcours d’exécution des peines. A cette fin, les personnels d’insertion et de probation agissent en tant que :
- Aide à la décision judiciaire, en proposant des aménagements de peine au juge d’application des peines en fonction du parcours de vie du condamné, de l’acte de délinquance qu’il a commis, et de sa situation économique et financière.
- Aide à la préparation à la sortie de prison par le développement et la coordination d’un réseau de partenaires institutionnels et associatifs. Il s’agit alors de faciliter l’accès des personnes incarcérées aux dispositifs d’insertion de droit commun (logement, soin, formation, travail….)
- Aide au maintien des liens familiaux
- Aide à l’accès à la culture. Les SPIP programment des activités adaptées au milieu carcéral, telles que la diffusion d’œuvres, ou l’organisation d’ateliers de pratiques artistiques.
En milieu ouvert
Les SPIP interviennent dans la cadre d’un mandat judiciaire :
- Ils apportent à l’autorité judiciaire tous les éléments d’évaluation utiles à la préparation et à la mise en œuvre des condamnations
- Ils aident les personnes condamnées à comprendre la peine et impulsent avec elles une dynamique de réinsertion, notamment par la mise en place de programmes de prévention de la récidive
- Ils s’assurent du respect des obligations imposées aux personnes condamnées à des peines restrictives ou privatives de liberté (semi-liberté, travaux d’intérêt général, liberté conditionnelle, placement sous surveillance électronique…)
- Dans le cadre des politiques publiques, ils favorisent l’accès des personnes aux dispositifs d’insertion sociale et professionnelle
En 2013, le SPIP comportait 12 personnes dont 9,5 Conseillers d’Insertion et de Probation. Il y a donc 1 conseiller pour 110 détenus environ. Pour assurer correctement les missions du SPIP, il faudrait un conseiller pour 30 détenus. Autant dire que le suivi des détenus de courte peine est quasiment inexistant !