État d’urgence, installation de l’état policier, affaiblissement de l’état de droit

 

On assiste à l’installation progressive et insidieuse d’un état policier avec un affaiblissement de l’état de droit. A la lecture des lignes ci-dessous, on constatera que le contrôle judiciaire garant des liberté des citoyens est  écarté dans les lois sur l’état d’urgence.

Dans un contexte émotionnel et  électoral avec une surenchère sécuritaire relayé par un matraquage médiatique, on ne donne pas au citoyen les moyens et le temps de réfléchir sur l’efficacité des mesures prises.

On élude les risques pour la liberté d’expression que contiennent ces lois, si elles étaient appliquées par des gouvernements mal intentionnés. En effet:

La police et le Parquet ont une marge d’interprétation quasi illimitée,  il est désormais possible de poursuivre non seulement des actes, mais aussi des intentions.

Le drame est que ces lois ont été proposées par un gouvernement de « gauche »

 

 

Rappelons la chronologie des lois:

  • Décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, l’état d’urgence est déclaré, à compter du 14 novembre 2015;
  • loi no 2015-1501 du 20 novembre 2015, 1re prorogation de l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions, instauration de l’état d’urgence pour trois mois; consulter la loi;
  •  loi 2016-162 du 19 février 2016, 2e prorogation de trois mois à compter du 26 février 2016 ;
  •  loi no 2016-629 du 20 mai 2016, 2e prorogation, de deux mois, prévue jusqu’au 26 juillet 2016 ;
  • loi no 2016-987,  3e prorogation, adoptée le 21 juillet, pour une période de six mois, après l’attentat du 14 juillet sur la promenade des Anglais.  La loi s’appelle désormais  « Prorogation de l’état d’urgence et mesures de renforcement de la lutte antiterroriste. » consulter la loi;

La loi du 21 juillet 2016 comprend deux parties,

Une première partie, dans son article 5, modifie profondément différentes dispositions de la loi de 1955 (l’article 11), en particulier les conditions de l’assignation à résidence et les modalités des perquisitions. La police et le Parquet ont une marge d’interprétation très large, car il est désormais possible de poursuivre des intentions (cf. ci-dessous)

Art. 11. – I. – Le décret déclarant ou la loi prorogeant l’état d’urgence peut, par une disposition expresse, conférer aux autorités administratives mentionnées à l’article 8 le pouvoir d’ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, sauf dans un lieu affecté à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes, lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics.
La décision ordonnant une perquisition précise le lieu et le moment de la perquisition. Le procureur de la République territorialement compétent est informé sans délai de cette décision. La perquisition est conduite en présence d’un officier de police judiciaire territorialement compétent. Elle ne peut se dérouler qu’en présence de l’occupant ou, à défaut, de son représentant ou de deux témoins.
Il peut être accédé, par un système informatique ou un équipement terminal présent sur les lieux où se déroule la perquisition, à des données stockées dans ledit système ou équipement ou dans un autre système informatique ou équipement terminal, dès lors que ces données sont accessibles à partir du système initial ou disponibles pour le système initial. Les données auxquelles il aura été possible d’accéder dans les conditions prévues au présent article peuvent être copiées sur tout support.
La perquisition donne lieu à l’établissement d’un compte rendu communiqué sans délai au procureur de la République.
Lorsqu’une infraction est constatée, l’officier de police judiciaire en dresse procès-verbal, procède à toute saisie utile et en informe sans délai le procureur de la République.
Le présent I n’est applicable que dans les zones fixées par le décret prévu à l’article 2.
 II. – Le ministre de l’intérieur peut prendre toute mesure pour assurer l’interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie.

 

Une deuxième partie qui fait référence « aux dispositions de renforcement de la lutte antiterroriste », mais aucune définition du terrorisme n’est explicitement inscrite. Le texte fait référence à l’article 421-1 du Code pénal et aux articles suivants, qui listent les crimes et les délits, considérés comme des actes terroristes « lorsqu’ils sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».

Le texte, par son  l’article 15,  permet la mise en place, « pour les seuls besoins de la prévention du terrorisme », « d’une technique de renseignement permettant le suivi en temps réel des données de connexion d’une personne préalablement identifiée comme susceptible d’être en lien avec une menace ». Cette technique permettra à l’État d’avoir accès :

  • aux adresses IP (c’est-à-dire à l’identification de chaque ordinateur connecté à internet) ;
  • aux contacts téléphoniques ;
  • à la localisation des appareils électroniques (ordinateurs portables et téléphones) ;
  • ainsi qu’à la date et la durée des appels téléphoniques et des communications numériques.

Cela concerne tout individu en lien avec une personne susceptible de représenter une menace. Tout l’entourage est susceptible d’un suivi en temps réel par ce dispositif.

Extrait de l’article 15 qui modifie l’article L. 851-2 du code de la sécurité intérieure  :
« Art. L. 851-2.-I.-Dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre II du présent livre et pour les seuls besoins de la prévention du terrorisme, peut être individuellement autorisé le recueil en temps réel, sur les réseaux des opérateurs et des personnes mentionnés à l’article L. 851-1, des informations ou documents mentionnés au même article L. 851-1 relatifs à une personne préalablement identifiée susceptible d’être en lien avec une menace. Lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’une ou plusieurs personnes appartenant à l’entourage de la personne concernée par l’autorisation sont susceptibles de fournir des informations au titre de la finalité qui motive l’autorisation, celle-ci peut être également accordée individuellement pour chacune de ces personnes.

 

Le contrôle de l’application des lois

Les policiers ont plus de liberté. Après avoir obtenu l’autorisation d’un préfet pour une perquisition, les agents de police peuvent, sans nouvelle autorisation écrite et motivée, recourir à d’autres perquisitions.

Pour la surveillance, le contrôle de l’application « correcte » de la loi revient à une nouvelle commission, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), qui remplace la structure instaurée en 1991. Elle comprend neuf membres (parlementaires, hauts magistrats et une personnalité qualifiée au profil plus technique) et donnera un avis pour chaque mise sous surveillance.

Les détails sur cette commission cliquer ici

le fonctionnement  de la CNCTR

La collégialité sera donc obligatoire uniquement dans les cas litigieux. A l’inverse, une seule voix suffira pour valider une demande d’interception.

Les recommandations de la CNCTR sont purement consultatives.

Ses avis peuvent ne pas être suivis sur ordre du premier ministre qui doit toutefois motiver sa décision.

La loi renseignement prévoit toutefois que la CNCTR puisse contester, devant le Conseil d’État, le refus  du Premier Ministre de suivre une recommandation. Si le Conseil d’État constate une illégalité, il peut alors ordonner la fin de la surveillance et la destruction des données collectées.

Certaines procédures dîtes « d’urgence » prévues par la loi sur le renseignement peuvent être déclenchées sans l’autorisation préalable de la CNCTR pour faire face à un danger immédiat ou à une piste impromptue.  Cependant, la CNCTR informé a posteriori peut contester la mesure de surveillance prise par les services.

Les citoyens peuvent  saisir la CNCTR, mais attention!

N’importe quel citoyen de déposer un recours auprès de la CNCTR et le Conseil d’État s’il s’estime victime d’une surveillance abusive. Les services de renseignement ne pourront pas alors opposer le secret défense à cette demande.

Cependant, ce droit se heurte toutefois à une limite majeure, car si le secret défense ne s’applique pas aux magistrats, il  s’applique bien aux citoyens et à leurs avocats. Ceux-ci n’auront donc pas accès au dossier et ne pourront qu’exiger de la justice administrative qu’elle confirme ou pas que la surveillance est bien licite.

Par ailleurs, qui décide que la surveillance abusive est couverte pas le secret d’état?

Limitation du droit d’association

La possibilité d’empêcher toute réunion sur la voie publique, pour « raisons de sécurité » durant l’état d’urgence, permet d’interdire toute manifestation  au grès de l’interprétation qu’il est donnée de menaces sur la sécurité publique! Citons l’interdiction de la grande manifestation qui devait se tenir à Paris, le 29 novembre 2015, veille de l’ouverture de la Conférence des Nations unies sur le climat

L’état d’urgence comme seule réponse au terrorisme?

L’état d’urgence est une réponse peut-être momentanément justifiée, mais elle ne peut évidemment pas être la seule. Il faut aussi se donner les moyens d’améliorer les services de renseignement et parvenir à annihiler les racines de ce « djihadisme français » qui voit des centaines de jeunes hommes et femmes radicalisés rejoindre les rangs de l’organisation Etat islamique, voire w, comme dans l’attentat de Nice ou dans celui de Magnanville contre des policiers, en « loups solitaires ».

La prévention est peu abordée. Les maisons d’arrêt surpeuplées et en sous effectifs dramatiques de personnels sont des « lieux de contamination ». Il est urgent de donner plus de moyens en locaux et en personnel à la justice.

Il est illusoire de penser que l’incarcération est une solution si les moyens sont insuffisants  pour analyser la situation des détenus et pour préparer leur réinsertion.

 

 

 

Sources :

https://www.legifrance.gouv.fr

Certaines parties de l’article sont extraites de:

https://reporterre.net/Guide-de-l-etat-d-urgence-ce-que-dit-la-loi

http://www.huffingtonpost.fr/2015/05/05/loi-renseignement-cnctr-garde-fou-cache-sexe-surveillance-masse_n_7202752.html

http://www.voltairenet.org/article190918.html

 

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