Six mois d’état d’urgence

et puis après ?

A prolonger encore l’Etat d’urgence, qui devrait rester un régime d’exception de quelques jours, verrons-nous en 2016 la France changer discrètement de régime pour passer sous un pouvoir administratif et policier libéré du contrôle d’une justice indépendante ?

Un Parlement ambigu

Cet état d’urgence décrété pour douze jours dans l’émotion des attentats du 13 novembre 2016 a vu sa première prolongation le 19 novembre votée par 551 députés et refusée par 6, tous de gauche PS et écologistes et 1 abstention. Il vient d’être encore prolongé pour trois mois avec une forte absence des députés de droite, quelques-uns étant venus marquer leur opposition ( 212 pour, 31 contre et 3 abstentions).
Vu l’absentéisme important, doit-on constater le manque d’enthousiasme pour cette prolongation des députés même s’ils sont encore trop peu nombreux à s’y opposer ou doit-on conclure que les parlementaires de droite refusent de soutenir une politique qu’ils approuvent ?
Manifestement les six opposants du 19 novembre qui avaient plaidé que « L’état d’urgence ne peut être banalisé » et qu’ »Accepter une logique d’arbitraire et une société du soupçon, ce n’est pas combattre Daech, mais diviser la France » n’ont pas encore été assez entendus.

Des magistrats inquiets

Lors d’une réunion organisée par la Fédération nationale de la libre pensée à Pontoise le 29 janvier dernier, Laurence Buisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, était venue rappeler que les juges ont parfaitement démontré qu’il n’y avait pas besoin de l’état d’urgence pour lutter contre le terrorisme.
Sur demande d’un juge, il est déjà possible d’intervenir et de perquisitionner avant infraction pour « intention d’infraction pénale » ou pour « association de malfaiteurs à visée terroriste », d’interdire de sortir du territoire et d’assigner un suspect à résidence « sur indices graves et concordants » La Secrétaire générale du Syndicat de la magistrature n’appelait donc pas à prolonger l’état d’urgence mais au contraire à l’urgence d’en sortir.
L’état d’urgence dote les représentants administratifs de l’Etat (préfet, policier) de pouvoirs exorbitants exercés sans contrôle judiciaire préalable, le juge administratif n’intervenant qu’après coup. Fin janvier, sur 400 assignations à résidence, dont 300 encore en cours, il n’y a eu que 60 saisines du tribunal administratif. Les victimes d’abus font trop rarement appel à lui, faute d’information et de compétence des avocats pénalistes. Ceux-ci sont peu formés à exercer ces recours indemnitaires comme à contester les détails des « notes blanches » des renseignements généraux dont il faut obtenir la communication.
Sur Médiapart, des juges administratifs, qui ont pu observer la manière dont l’état d’urgence est mis en oeuvre et contrôlé, se sont émus dès fin décembre des atteintes que ces mesures portent aux libertés publiques et aux droits fondamentaux. ( ici )

Des citoyens inquiets

Ce débat avait réuni dans la salle haute du café « Les quais » plus d’une quarantaine de personnes, toutes inquiètes de voir le Parlement accepter de rogner de plus en plus nos droits et libertés de citoyens au lieu de les défendre. Et cela alors que la lutte antiterroriste est possible sans cet état d’exception.
Certains participants ont rappelé que le recours à l’Etat d’urgence créé pour la guerre d’Algérie en 1955 avait été appliqué à nouveau hors métropole en 1958 et 1984, et qu’il le fut localement en 2005 après les émeutes de Villiers le Bel. Mais cette année, il sera pour la première fois appliqué sur tout le territoire français pendant plus de six mois ! Ils ne comprenaient pas qu’en son nom on ait interdit les manifestations autour de la Conférence sur le climat mais autorisé les marchés de Noel, et autres grosses animations commerciales dans la même région parisienne…
D’autres participants aux débats ont raconté les faits dont ils ont été témoins : perquisition impressionnante avec erreur de porte et de personne, ravages sans indemnisation, assignation à résidence abusive interdisant la vie professionnelle, contrôles d’identité au faciès avec commentaires insultants… Ils ont évoqués leur inquiétude à voir de très jeunes militaires armés patrouillant dans les gares sans personne d’expérience pour les diriger.
Refusant de céder au pessimisme, ils se sont encouragés à lutter politiquement contre la prolongation de l’état d’urgence mais aussi citoyennement contre le climat de défiance (pour ne pas dire de paranoïa collective) qui s’instaure partout en ouvrant le dialogue avec tous, à chaque occasion, notamment dans les transports en commun.
Pour en savoir plus
Quelles sont les observations du Syndicat de la magistrature devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, sur le projet de loi renforçant la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme ? téléchargeables ici
Qu’ont voté les députés du Val d’Oise ?
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